La soupe americaine

Mona - Auxerre
26 mai - midi

Ma valise me fait des misères. Depuis quelque temps, je la soupçonne de rétrécir dans mon dos. Hier, on a fêté mes quatorze ans et papa m'a demandé si je me sentais changée. Moi non, mais mon plus fidèle bagage n'encaisse pas très bien le coup. Eisa, ma petite soeur, mieux connue sous le surnom «Crapule», est assise en tailleur à côté de moi. On contemple la valise comme l'ennemi public numéro un. Je la sors une fois par an pour le départ chez mes grands-parents. L'année dernière, après la séance d'empaquetage, elle était quasi vide. Ce matin, Crapule n'a aligné que quatre paires de socquettes immaculées, quatre pantalons et quatre maillots de corps taille huit ans, et elle semble prête à craquer. Mon père frappe à la porte de ma chambre et entre sans attendre ma permission :
- Qu'est-ce qui vous arrive les filles ? Vous appelez les esprits ?
Depuis que mon frère Johnny est parti, papa fait de gros efforts pour amuser la galerie. Souvent, il est complètement à côté de la plaque. Ma soeur ne manque jamais une occasion de le recadrer poliment.
- Papa, on n'appelle pas les esprits en pleine journée. C'est carrément peine perdue.
- Si tu le dis... Crapule, j'ose espérer que tu es douchée !
Grâce à Johnny, Eisa est allée à bonne école pour se défendre en cas d'ingérence parentale. Notre grand frère Johnny nous a appris un certain nombre de phrases imparables pour faire plier nos parents. Telle que je connais ma soeur, elle va jouer la carte «avec ton accord», une vraie mine d'or pour faire croire à une possible négociation.
- Avec ton accord, je me doucherai plus tard. Je me sens propre comme ça.
Papa est plutôt tatillon sur l'hygiène. Il est psychologue et guette les manifestations du mal-être. Nos phrases toutes faites ne suffisent pas toujours. Pour lui, ne pas se laver équivaut à hurler son manque d'amour-propre à la face du monde. Il cède rarement sur la douche.
- OK, comme tu veux, après tout, si tu préfères macérer dans ta crasse.